Gens de chez nous
Comme promis la semaine dernière, voici la suite de l’interview de Martin :
Quels conseils donnerais-tu à des débutants qui voudraient se lancer dans la photo animalière ? Le matériel “haut de gamme” est-il nécessaire ?
Le premier conseil que je donnerais c’est de bien évaluer le temps qu’on est prêt à y consacrer au départ. Ne pas surestimer ses capacités à s’installer, à patienter, à préparer un affût.
Si on a envie, un samedi après-midi, de s’essayer à la photo nature, il ne faut pas aller s’installer devant n’importe quel terrier qu’on a pu croiser en se disant que ça va marcher parce que ça ne marchera pas. C’est quelque chose qui se prépare. Il faut observer ce terrier avant de s’y installer, connaître un petit peu les habitudes de l’animal, par exemple, savoir qu’on a peu de chance de voir sortir un blaireau à quatre heures de l’après-midi ! Tout ça demande un minimum de préparation.
Choisir intelligemment le sujet que l’on veut photographier en fonction du temps et , en tout cas, de l’investissement qu’on a envie de faire au début. Le mieux c’est d’essayer de prendre une toute belle photo de moineau, une belle photo d’hirondelle ou de mésange. Et ce n’est vraiment pas facile à faire, contrairement à ce qu’on peut penser ! En tout cas une photo un peu originale. On va alors pouvoir tester un petit peu les lumières, se dire : « Tiens ça marche mieux avec un fond dense, un fond qui est assez uni »
On peut ainsi commencer à faire des essais : sur les libellules au bord de la mare, au printemps avec les grenouilles ça marche du tonnerre, elles ne sont pas très farouches. Et on peut, à ce moment là, faire des photos qui, très vite, deviennent assez sympas parce qu’on teste les angles de vue, les lumières, …
Donc, choix d’un sujet pas trop difficile et qui peut se photographier en une heure ou deux puis, après, on cherche un peu la difficulté et on complexifie le travail.
Deuxième conseil : bien préparer son affût, ne pas croire que c’est facile et se dire plutôt : « Je vais bien observer un endroit, un animal, essayer de voir quelles sont ses habitudes. Comment est-ce que je vais pouvoir aller chercher une bonne photo ? Est-ce juste en me mettant devant l’entrée de son terrier ? La photo ne serait-elle pas plus intéressante si je me mettais 10 mètres plus bas ? » Quel est son parcours habituel ? Comment me positionner correctement par rapport à ça ? » C’est juste un peu plus réfléchir, un peu plus fouiller et préparer son travail.
Au sujet du matériel, clairement on n’a pas besoin d’un super matériel professionnel et coûteux pour commencer. Le coût du matériel est principalement influencé par ses capacités à travailler dans des conditions plus difficiles, des basses lumières, etc. Au début, si on choisit un sujet plus ou moins facile (on peut très bien photographier un rouge-gorge dans son jardin, en plein jour au soleil) le plus petit appareil va fonctionner aussi bien qu’un plus gros.
Il vaut beaucoup mieux développer sa technique et sa patience photographique que d’investir très vite dans du matériel. Maintenant, il n’y a pas de secret, un très bon appareil va faire des meilleures photos qu’un appareil qui ne coûte que quelques dizaines d’euros mais il faut aussi pouvoir le maîtriser. Je pense qu’il vaut mieux avoir un appareil simple et efficace que d’arriver tout de suite à quelque chose de trop compliqué et d’indomptable.
Très clairement, au niveau du matériel, il y a une espèce de folie maintenant. On a l’impression que, tous les ans, il faudrait changer d’appareil ! Je pense qu’au contraire il vaut mieux garder celui qu’on a et apprendre à le maîtriser à fond, connaître ses limites et ses défauts avant d’éventuellement changer.
Y a-t-il une photo (ou un film) que tu rêves de faire ?
Je ne pense pas qu’il y ait vraiment une photo « mythique » que j’ai envie de faire… il y en a plein ! Ce qu’il y a c’est que je suis très vite frustré par celles que j’ai faites et que j’ai envie d’aller autre part. Donc, c’est bien parce que chaque photo est une étape et que chaque fois que j’en ai fait une où je me dis : « Ah là j’ai fait un truc chouette ! », je m’en lasse assez rapidement et il faut que je passe à autre chose, que j’aille un peu plus loin.
J’aime que les images soient assez simples, c’est ma logique graphiste, et qu’elles fonctionnent parce qu’elles sont assez simples, assez épurées. Clairement, je trouve plus intéressant un sujet qui crée une dynamique dans l’image en étant simplement suggéré que d’avoir juste une photo portrait d’un animal.
Dans la photo nature, il y a plusieurs voies. Il y a la démarche naturaliste et puis il y a l’approche plus artistique et c’est clairement dans la seconde que je m’inscris.
Parfois, le « suggéré » peut amener un témoignage naturaliste et c’est là que ça devient vraiment super.
Il n’y a pas une photo dont je pourrais dire maintenant : « Tiens, j’ai envie de faire ça » mais il y a plein d’images que j’ai envie de réaliser, par exemple des images dans la neige mais, avec des hivers comme l’hiver dernier… je reste un peu sur ma faim. Maintenant c’est sûr qu’un sujet emblématique comme l’ours ou le loup ce ne serait pas mal ou, mieux encore, tant qu’à être fou, photographier un lynx en Belgique… ! (rires)
Je pense que ce qui m’attire, c’est cette confrontation avec un animal qui est vraiment hors norme, comme je l’ai vécu avec le boeuf musqué. Là, on se retrouve avec un sentiment dingue face à lui. Ça ce sont des choses qui me plaisent !
En vidéo aussi j’ai vraiment plein d’envies parce que j’y ressens le plaisir de construire des histoires, des témoignages, un côté documentaire qui m’intéresse beaucoup.
J’ai un projet concret, un documentaire sur l’Ardenne mais c’est un travail de toute grande envergure, de toute grande ampleur et… voilà !
Tu nous as amené une photo “coup de cœur”. Peux-tu nous en parler ?
En fait, j’en ai amené deux parce que j’hésite entre celle-ci… c’est un paysage
et… celle-là avec les rennes.
Je crois que je vais prendre les deux. Elles sont prises en Norvège.
Le paysage, c’est le genre de photo que j’adore réaliser. C’est à dire qu’il y a, à mon sens, vraiment une ambiance dingue. On a beaucoup de ressenti alors que l’image est presque monochrome, il y a juste cette brume qui vient donner comme un coup de pinceau dans ces arbres et qui donne tout le relief de l’image. C’est là que c’est vraiment intéressant, il y a une profondeur dans quelque chose de très simple. On est dans le principe même de la photo : les cinq secondes avant ou les cinq secondes après ne sont plus du tout les mêmes et donc, il y a vraiment la saisie d’un instantané.
L’autre photo, c’est un coup de coeur par rapport à un moment vécu. On est dans le parc du Forollhogna qui est un parc en Norvège où on trouve une des toutes dernières populations sauvages de rennes. Ce sont les mêmes rennes que ceux qui occupaient l’ensemble de l’Europe lors de la période glaciaire, les mêmes que ceux dont on a retrouvé les ossements dans les grottes à Lascaux, etc. C’est une espèce très ancienne et très rustique avec des bois vraiment fort développés.
On est allé dans ce parc pour les trouver au milieu de milliers d’hectares, c’est immense ! Se retrouver dans ce groupe de rennes, ça a été une approche de plusieurs jours parfois en rampant dans la tourbière et puis là, on a passé plusieurs heures avec eux, d’abord à bon vent et puis ils ont fini par nous encercler. On était couchés au sol et ils n’étaient pas plus inquiets que ça.
En toute fin de journée, je fais cette photo, en pose lente.
Le principe de la pose lente, c’est que, le déclencheur n’ayant plus beaucoup de lumière prend un certain temps pour la photo. Quand on choisit de faire ce type de cliché, on essaye de suivre le sujet et alors ça dessine comme des lignes sur l’image. Lignes qui, finalement, rendent tout le mouvement de l’animal ce qu’on n’aurait pas avec une photo qui serait juste figée. C’est une technique assez sympa qui, ici, ne fonctionnait pas mal pour rendre l’énergie assez magique qui avait autour de nous à ce moment-là.
Et, pour terminer, en te remerciant pour ta disponibilité, je te laisse le mot de la fin.
Je terminerai en disant que je trouve qu’on a une chance incroyable de vivre ici à Hoursinne. Pour ceux qui n’y vivent pas, il faut visiter un coin comme ça de temps en temps parce que, dans un tout petit pays comme le nôtre, on a encore cette chance d’avoir une nature qui, globalement, est assez préservée, assez sauvage.
On peut se lever le matin et avoir juste le silence, les brumes, les chants d’oiseaux et donc ça c’est tout de même une opportunité qui devient un luxe incroyable dans des pays comme les nôtres. Donc il faut vraiment en profiter, il faut essayer de préserver ça.
Je terminerai en disant, sans faire de pub pour mon dernier petit film présenté à Namur, qu’il se veut aussi un peu un hommage à Hoursinne parce que presque tout y a été tourné mais aussi à notre forêt, la forêt ardennaise parce que même si j’adore voyager, même si j’ai vu des coins magnifiques en Norvège, dans les Alpes italiennes ou dans des tas d’autres coins du monde, je suis toujours content de revenir à Hoursinne, on y est drôlement bien !
Crédit photographique : Martin Dellicour